27 novembre 2005

L’œil du hooligan



L’œil du hooligan luit d’une lumière précise. Précieuse. Les mues de l’œil façonnent sa perception du monde, distribuent les couleurs, les nuances et les écarts. Dans la respiration des heures, peuplées et opulentes, les idées cernent le support. C’est l’écorce, parfois, qui recueille le pigment, ou la perle de gouache ancienne, ou la larme de colle où vient se fixer le fragment de papier. Elle se vêt alors d’un déshabillé tissé de broderies surannées. Ou s’enroule dans une côte de maille délavée qui vibre aux mouvements du Violoniste. L’œil du peintre exerce sa virtuosité dans l’instant de sa solitude, et renvoie le tableau à l’œuvre.

Ne pas voir ; mais dénoncer l’évidence, la première impression, pour mieux s’immerger. L’œil du peintre n’est pas tourmenté mais déchaîné, explosif, gorgé d’une violence sourde et généreuse qui s’échappe, par traits, pour laver les habitudes, les lieux communs et les modes. Ces œuvres respirent la fulgurante émotion de l’art si on daigne s’y arrêter, comme on s’allonge sur l’herbe un soir d’été, à l’accalmie du jour. C’est à la fois et dans le même mouvement, une main qui se tend, une éclaircie dans l’absurde du quotidien, une prise de parole picturale.

Ne pas voir ; mais scruter, déceler, arracher, extraire, au scalpel du doigt, les restes d’humanité en action dans la tragi-comédie de l’existence. Les chiens n’affrontent pas les taureaux, ils brillent de leurs dépouilles exposées, pensifs, quand après un rideau de mouchoirs blancs, Les voix de la patience tracent un sillon débordant de plénitude.
Les bourgognes, lancées dans un combat de crève-la-faim, se confondent aux Poilus, spectateurs innocents de la dérision de l’être au monde qui se soldera par une visite aux Favorites, la faux étant passé par là.
Quand le cargo coule, ses derniers feux enlacent l’écume et la Bigouden au dos voûté « par l’outrage et les bonnes mœurs » récite la complainte de ce pauvre Rutebeuf en attendant la mer étale.

Ne pas voir ; mais imaginer derrière ces volutes et ces rubans aux tons doux si particuliers, des asticots somptueux qui d’une œuvre à l’autre grignotent leur nécessaire nourriture. Les larves rampent et engloutissent La melon qui voit déjà sur le canapé de ses extases passées l’image de ses os abandonnés là pour le chien, funambule involontaire, aux yeux gorgés de sollicitude, malgré la faim. Sur le Chemin de la cale, le crane à moitié dévoré signe la rudesse d’une vie passée perché sur les échasses du temps, où la précision le dispute à l’acharnement, où le talent ne se propage pas, freiné par les cons, aigris et grognant. Pourquoi les poètes du geste n’ont–ils pas de maison ?

Ne pas voir ; mais goûter à ces aliments esseulés semés par le ventre qui crie, et qui ponctuent le quotidien du tableau quand le peintre mâchouille son pinceau pour mieux caler sa faim. Quand l’œil du peintre se lèche les cils l’art se déploie. Et la table mise les convives se régaleront de sa famine. Avant de mourir empoisonnés.

Ne pas voir ; mais entendre cet Opéra pictural qui déploie ses ailes aux lumières de la nécessité. Nul besoin de partitions, de portées et de notes, l’anarchie du style rugit et s’enroule, se déroule et s’égoutte en constellations harmonieuses et distendues. Du Tour de France cycliste aux Praz , de La route nationale à Barcelone le silence de la toile résonne avec le trait et la couleur, une mélodie inaudible berce le voyage du regard, prisonnier de ses préjugés, en même temps qu’elle le blesse; une onde se propage, envahit la plus infime partie du corps et terrasse sans espoir de retour. Jamais autant la peinture n’aura pu rendre sourd.

Alors au bout de son ivresse, le spectateur, débarrassé de ses oripeaux Spectaculaires, n’a qu’un mot, quand il enjambe cette frontière invisible de l’art, un seul mot pour traduire sa pensée, un mot que la peinture ignore, -car le peintre puise dans le dictionnaire de sa penssibilité un vocabulaire que nul ne peut percer ; il n’y a pas de barbarisme, pas de grammaire ni de litote, encore moins d’acrostiches ou de sonnets pour le peintre, seulement une arme de poing aux effets ravageurs : son pinceau et une tache de sang : son huile ou sa gouache. De cette fusion ardente naissent des chimères, des hybrides qui fascinent les passants de l’ombre, et qui vivent leurs existences immortelles sans se soucier de rien. – ce mot, il t’appartient, lecteur, de le cracher à la face du monde, adorablement.


Frédéric BONS
Septembre-novembre 2005

Laurent Melon

12 novembre 2005

Le patronat opprime, l'Etat réprime, et la religion compte les points...


Davou,
Le parisien libertaire,

De quel coté du manche faut-il être pour ne pas comprendre l'exaspération de la jeunesse? La rédaction du PL partage le cri de révolte de la jeunesse laissée pour compte, en marge de ce que le pouvoir, la communauté organisatrice si vous préférez, appelle le progrès.
Depuis des années, l'esprit collectif, la conscience de classe est gommée par les mesures de nos exploitants (Etat, Patronat...). Plus qu'une indivisualisation des rapports sociaux, car le soucis de l'individuE n'est évidemment pas la motivation, c'est l'isolement de chacunE qui est visé à travers des réformes telles que celle des retraites, celle de l'assurance-maladie. Les différentes réformes fiscales ne font que favoriser une bourgeoisie qui prospère sur le dos de ce que l'on pourrait appeler la classe ouvrière, ce qui fut qualifier de France d'en bas, le peuple tout simplement.
Le racisme et l'immixtion des idées de l'extrême-droite dans le débat politique sont une réalité. Le musellement de l'individuE, notamment à travers la répression qui touche les mouvements de lutte et de revendications tels que celui des étudiants, des 'traminots' marseillais, des postierEs à Bègles; Et les rafles qui se multiplient, comme pour s'assurer que vraiment, celles et ceux qui ne sont pas de la nationalité nationale (sic) ou qui ne sont pas dans la règle de la Terre d'Asile, n'ont pas le moindre espace de liberté pour souffler un instant... Et l'arsenal sécuritaire mis en place ces derniers jours pour museler la révolte sera-t-il levé? Depuis combien de semaines le plan Vigipirate est-il en vigueur?
Aujourd'hui la jeunesse a pris conscience de son poids, de ce qu'elle peut tirer d'une certaine "unité d'action". Malheureusement, les biais sont vains. Et le manque cruel d'organisation, mais aussi d'un certain sens politique rendent la révolte des cités stérile, et ne favorisera finalement que la stygmatisation, le populisme et les corporatismes religieux. Il faut parler à cette jeunesse, lui expliquer qu'elle est le pouvoir, le seul pouvoir légitime, le seul dialogue qu'elle puisse vraiment établir, c'est avec les militantEs sur le terrain.
Fondation(s) ou fonderie?
Seulement voila, il faut bien admettre que les contacts entre nos mouvements et groupes politiques d'une part, et les associations et groupes politiques issus des cités d'autre part ne sont pas nombreux. Et lorsque samedi 5 novembre, la crise est aigue et que le gouvernement n'a pas encore emboité le pas (de l'oie) au Front National (certes il y a longtemps que c'est le cas dans les intentions, mais pas encore tout à fait pleinement dans les actes), la gauche de la gauche se réunit en colloque autour de la Fondation Copernic pour savoir qui de Nosé, d'Ollivier ou d'Arlety sera le ou la meilleurE candidatE en 2007...
La gauche (de la gauche aussi) est sur répondeur jusqu'en 2007. Et les élus locaux socialistes et communistes, à qui il est demandé pour une fois de faire vraiment de la politique, sont totalement dépassés et en appellent aux religieux!!! La droite se répond, pour peu à peu se plaire, et finir par se confondre. Il suffit que le Front National publie un communiqué appelant à l'instauration du couvre-feu le vendredi (4) soir, pour que le gouvernement ravive la loi de 1955 (quel contexte!) le dimanche (6) soir! Le ministre de l'Intérieur, celui même qui avait visité Argenteuil dans l'esprit de provocation que l'on sait quelques jours avant que Clichy ne s'embrase, rétablit en un tour de plateau télé la double peine (double-pen'). Rappelons aussi qu'une partie de la majorité à l'Assemblée Nationale est pour le rétablissement de la peine de mort, et l'a fait savoir dans un projet de loi en 2004...
Le dialogue avec la jeunesse des quartiers, politique par essence, ne se renouera pas par l'intervention des partis et de leurs dirigeants, ceux-là même qui par alternance organisent la misère pour la rendre civilisée. C'est par le biais des militantEs des associations nées dans les quartiers et celles qui voudront s'y installer, par les personnels de l'Education Nationale, par l'ensemble des salariéEs des services publics présents dans ces quartiers, et conscients de la tâche qui leur incombe, mais aussi par les militantEs qui auront la conviction d'aller parler à cette jeunesse, de lui expliquer les mécanismes de l'exploitation qui touchent les quartiers dit sensibles, qui sont avant tout des quartiers miséreux. La vie y existe pourtant bel et bien, notamment dans des initiatives fortes, même si souvent trop locales. Il faut renouer avec les banlieues, et le faire d'autant plus que l'exclusion organisée les frappe. Et si nous ne nous investissons pas dans cette tache, les religieux et sectaires en tout genre ne manqueront pas de le faire...

"Au quartier des terreurs des enfants se sont mis à brouter des étoiles, La voix lactée s'amidonnait dedans leurs toiles, Et la carte du ciel dans ce quartier de France Indiquait une route à ne pas suivre..."


Paris, le 12 novembre 2005